Brève histoire des mouvements féminins en Afrique, recueillie par Olaréwadjou Elvis Lalèyè, dans le cadre de l'exposition REGARDE-MOI du 19 janvier au 11 mars 2023, à la Gallery Brulhart.
« Vous avez dit « féministe » ? C’est une étiquette que je porte librement, voire revendique aisément. Dans mon contexte africain, cette étiquette provoque les imaginations et force à l’écoute. Elle me permet de quitter les discours de convenance autour des femmes et cette « zone de confort » dans laquelle se réfugient de nombreuses Africaines pour revendiquer leurs droits sans questionner l’ordre patriarcal dominant, comme le soutient Patricia McFadden, une féministe convaincue du Swaziland. On doit établir la distinction entre mouvements féministes et mouvements féminins. Leurs relations sont extrêmement complexes, faites à la fois de contradiction et de convergence, d’antagonisme et de collaboration autour d’une question commune. Il arrive souvent que les organisations féministes ancrent de nouveaux questionnements sur les femmes dans les opinions publiques, alors que les organisations féminines, certainement plus écoutées en raison de leurs discours modérés, peuvent les faire inscrire dans les agendas des États avec toutes les victoires et les désillusions qui jalonnent nos expériences. ». [1]
Fatou Sow, Professeur de l’université Cheick Anta Diop et Chercheure en sciences sociales.

Le féminisme est un ensemble de mouvements et d’idées politiques, sociales et culturelles ayant pour objectif de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes en militant pour les droits des femmes, et ce, sur le principe fondamental que les hommes et les femmes sont égaux et doivent être considérés comme tels dans la société. Ce terme est utilisé pour la première fois en 1872 par Alexandre Dumas fils et popularisé à partir de 1882 par Hubertine Auclert, militante féministe française.
En Afrique, le féminisme est ancré dans les mœurs et coutumes depuis les temps précoloniaux. Ce combat pour l’égalité femmes et hommes a inscrit dans l’Histoire de puissantes reines comme la reine Aminatu de Zaria ; Candace, l’impératrice d’Ethiopie ; Makeda, la reine de Saba ; Nefertiti, la reine de l’ancien Kemet ; Yaa Asantewa, la reine Ashanti ; Njinga, la reine du Ndongo et du Matamba. Remarquablement, Tassi Hangbé, la reine du Danxomè (actuel République du Bénin) ira plus loin en créant pendant son règne une armée de guerrières dites « Les Amazones ». Elle a également développé des programmes d’apprentissage des métiers d’hommes aux femmes. Lors de la traite négrière transatlantique, de la traite négrière arabo-musulmane ou encore de la colonisation, légion étaient les femmes qui s’étaient battues autant que les hommes pour leur liberté que les droits de femmes. L’exemple le plus marquant est celui des femmes du Nder, capitale jadis du royaume du Waalo, au Sénégal, qui, plutôt que d’être réduites en objets sexuels et de perdre jusqu’à leurs droits d’êtres libres, elles livrèrent bataille contre les négriers maures jusqu’à s’immoler collectivement par le feu.
Le féminisme moderne africain prend sa source dans la lutte pour l’indépendance des nations africaines et le mouvement décolonial avec la formation de groupes de femmes au sein des partis uniques et plus tard des divers partis politiques, les regroupements d’intérêts économiques, de voisinages, de solidarités féminines, et de défense des idéaux nationalistes ainsi que le militantisme au sein des organisations de la société civile ou contre les discriminations raciales. Car pour reprendre Awa Thiam dans « La parole aux Négresses, édité en 1978, « là où l’Européenne se plaint d’être doublement opprimée, la Négresse l’est triplement. Oppression de par son sexe, de par sa classe et de par sa race ». Cela va déboucher sur les actuels mouvements féministes sur le continent africain.
Ces mouvements féministes contemporains prennent en compte le contexte personnel et les expériences de femmes sur le continent africain ainsi que leurs besoins d’égalité et d’indépendance au sein de sociétés africaines encore très conservatrices. Ainsi, dans son article intitulé West African Feminismis and Their Challenges publié dans le English Academy Review en 2006, la Nigériane Naomi Nkealah, distingue plusieurs types de féminismes africains. Il y a le femmisme qu’elle considère ne pas faire partie du féminisme africain parce qu’il concerne les femmes noires vivant et travaillant hors de l’Afrique. Ensuite, elle se concentre sur le stiwanisme qui, en se concentrant sur les structures qui oppriment les femmes et sur la façon dont les femmes réagissent à ces structures institutionnelles, place les femmes africaines au centre de sa réflexion. Dans un troisième temps, elle étudie le maternisme, une forme de féminisme qui voit les femmes des régions rurales du continent soutenir et nourrir la société par leurs durs labeurs, la complémentarité femme-homme, l’amour, l’équité et la patience. Elle se tourne ensuite vers le femalisme qui met le corps de la femme au cœur des enjeux féministes et enfin, elle évoque le négro féminisme et le féminisme de l’escargot qui demandent l’inclusion des hommes dans les conversations et dans le féminisme, invitent les femmes à travailler aussi lentement qu’un escargot dans leurs interactions avec les hommes pour lever les barrières de la société très dure et patriarcale dans laquelle elles vivent, et surtout jugent l’intervention masculine nécessaire à la liberté des femmes.
Aujourd’hui, comme partout dans le monde, l’action féministe ne cesse d’évoluer dans les cinquante-quatre pays africains. D’un côté, on a l’apparition des revues académiques ouvertement féministes comme Jenda, A Journal of Culture and African Women Studies et Feminist Africa, toutes deux créées en 2001. De l’autre, les peuples africains assistent de plus en plus à la réviviscence d’un genre littéraire qui promeut l’égalité entre les hommes et les femmes tout en amenant à s’interroger sur les rouages de la sujétion féminine dans les sociétés africaines.
De jeunes femmes africaines avides de liberté ont, ce qui les concerne, amené l’engagement féministe sur les réseaux sociaux. C’est le cas par exemple de l’initiative #VraieFemmeAfricaine de la journaliste et activiste ivoirienne Binetou Mariam Traoré qui a inondé la toile, entre 2020 et 2021, et tourné en dérision à coups de petites phrases bien senties - une #VraieFemmeAfricaine s’excuse quand son mari la frappe car elle l’a cherché, une #VraieFemmeAfricaine doit laver les pieds de son mari et la masser chaque soir sinon elle n’ira pas au paradis, une #VraieFemmeAfricaine ne répond pas quand son copain ou son mari parle, une #VraieFemmeAfricaine doit mettre tout son cœur, toute son âme et toute son énergie à rendre son mari heureux tout en acceptant qu’il soit polygame par nature) - les injonctions faites à toutes les femmes africaines. La romancière sénégalaise Ndèye Fatou Kane a, quant à elle, lancé le hastag #BalanceTonSaï -Saï (« pervers », « coureur », « vaurien » en wolof).
L’activisme de ces jeunes femmes dans les revendications pour leurs droits et les luttes contre leur subordination dans les sociétés africaines contemporaines explique enfin la multiplication de forums (comme le Forum Féministe Africain), des colloques et ateliers sur le sujet, des associations féministes (La ligue 225 en Côte d’Ivoire ou GénérationElles au Sénégal) et même de festivals à l’instar du Festival culturel féministe et éco-responsable Kimpa Vitaa à Dakar, au Sénégal. Par contre, certaines actions féministes ont privilégié la sensibilisation par le divertissement comme par exemple la série C’est la vie, un soap hospitalier tourné à Dakar et diffusé dans toute l’Afrique qui abordent les tabous de l’indépendance des femmes, de la sexualité, de l’avortement, de la contraception et des violences sexuelles.
Les artistes plasticiennes africaines ne sont pas du reste tant dans leurs pratiques artistes que dans leurs discours. Leurs œuvres féministes très engagées sur les multiples aspects de ce vaste sujet ont gagné en force ces dernières décennies devenant une tendance à part entière de l’art contemporain africain. Au nombre ces artistes, on compte Kiné Aw, Anastasie Langu Lawinner, Mauricette Djengue et Amy Celestina Ndione auxquelles l’exposition « Regarde-Moi » donne la parole du 19 janvier au 11 mars 2023.
[1] Extrait de « Mouvements féministes en Afrique », Entretien avec Fatou Sow, réalisé par Blandine Destremau et Christine Vershuur, 2012. Photo : DeuxPlusQuatre, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons, 2018